Ao longo da nossa vida encontramos pessoas que têm a capacidade de nos dar pistas para consolidar e arrumar os nossos conhecimentos contribuindo para nos libertar o pensamento, orientando-nos para o essencial e contribuindo para nos ajudar a livrar do acessório. Este é o caso do canadiano quebécois Mathieu Bock-Côté que nos esclarece sobre os métodos coercivos usados pelos progressistas para impor a sua ideologia desconstrutiva. AD resolveu trazer aos seus leitores a entrevista original que Bock-Côté deu à revista Valeurs Actuelles, no original, até que consigamos a sua tradução oportuna.
Dans un entretien à Valeurs Actuelles, Mathieu Bock-Côté démonte les mécanismes qui ont permis le triomphe de cette idéologie victimaire visant à la déconstruction des sociétés occidentales. Et prédit la revanche du réel, qui ne saurait être ignoré indéfiniment.
Le politiquement correct est devenu un mot passe-partout, qu’on met à toutes les sauces: comment le définir?
Le terme est apparu à la fin des années 1980 pour désigner la survalorisation des revendications des minorités victimaires se définissant à travers le procès de l’homme blanc hétérosexuel dont il faudrait contester l’hégémonie. Résumé en une formule, le politiquement correct consistait à sacraliser les minorités et à dévaloriser systématiquement la majorité.
Avec le temps, le politiquement correct est devenu un dispositif inhibiteur qui sert à exclure de l’espace public d’une manière ou d’une autre, par la pathologisation, la diabolisation ou la disqualification morale, ceux qui contredisent directement ou indirectement l’idéologie diversitaire, l’immigration massive, le multiculturalisme, un certain féminisme obligatoire à prétention intersectionnelle … bref, tout le discours qui relève en fait de la critique radicale de la civilisation occidentale, qui devrait se dissoudre pour expier ses péchés.
Le politiquement correct sert à exclure, parfois avant même de les avoir entendus, ceux qui contredisent cette idéologie, à les transformer en infréquentables, en parias. C’est le système de défense du régime diversitaire qui lui permet d’ostraciser médiatiquement, politiquement et demain peut-être juridiquement ses contradicteurs.
Selon quels procédés ?
Voyez la multiplication des termes en « phobie ». Dès lors que l’on veut délégitimer une idée, on la transforme en phobie, ce qui la fait passer du domaine politique au domaine psychiatrique. Car on ne débat pas avec un « phobe », à la rigueur on le fait soigner. En phobisant un adversaire, on l’exclut du champ de la rationalité et même de la santé mentale. Autre exemple, l’extension fascinante de la définition du racisme pour désigner une série de phénomènes qui historiquement relevaient de tout autre chose.
Qu’il s’agisse du plaidoyer pour l’assimilation nationale et républicaine, de la critique de l’immigration massive ou de celle du multiculturalisme, l’idéologie diversitaire a tendance à y voir du racisme et la peur de se voir coller cette étiquette pousse bien des intellectuels et des politiques à se taire ou, du moins, à euphémiser leur réflexion, dans l’espoir de passer sous le radar et d’éviter les polémiques.
De ce point de vue, le politiquement correct est une machine qui ne cesse de s’étendre. Le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer un désaccord sans être voué aux gémonies alimente une frustration politique indéniable. C’est pourquoi le politiquement correct me semble être l’un des carburants qui alimentent ce qu’on s’obstine à appeler le populisme sans jamais vraiment le définir.
Vous dites que le politiquement correct consiste à encadrer le débat autour de « codes de respectabilité » qui permettent d’en exclure ceux qui ne les respectent pas. Quels sont ces codes et qui les impose?
D’abord, il faut refuser toute perspective conspirationniste. Nous sommes plutôt devant une idéologie qui se déploie en instaurant une petite Terreur. La peur d’être exclu du débat public ou plus encore celle de la mort sociale, engendre une autocensure de plus en plus efficace. Les contrôleurs de la circulation idéologique qui patrouillent l’espace public vont essayer de coincer politiques ou intellectuels pour dérapage et de mieux les enfermer dans un mauvais rôle. Et qu’est-ce qu’un dérapage sinon l’aveu qu’il existe une ligne tracée dont on ne peut s’éloigner sans se faire coller une contravention idéologique? À certains égards, mon ouvrage relève de la sociologie de l’étiquetage médiatique, discipline qui me paraît indispensable pour comprendre comment, dans sa configuration même, l’espace public donne à l’avance raison ou tort à certains avant même que le débat ait commencé.
Quelles sont les étiquettes qui vous paraissent les plus révélatrices?
La pire est évidemment « proche de l’extrême droite » sans qu’on prenne vraiment la peine de définir cette dernière. Cette étiquette marque du sceau du soupçon celui à qui on l’accole. « Nauséabond » entre dans la même logique: l’adversaire est alors présenté comme un monstre aux idées à ce point pestilentielles qu’il faudrait le tenir à bonne distance pour éviter la contamination. Nul besoin de discuter avec lui: il suffit de le renifler. Il y a aussi l’expression faussement neutre de « polémiste »: qu’est-ce qu’un polémiste, sinon un querelleur compulsif, qui provoque pour provoquer ? Réduire l’essayiste au polémiste consiste à transformer sa réflexion en simple positionnement médiatique ou en coup de colère sans intérêt. « Controversé » est un autre terme caractéristique. Ainsi, quand on entend « Je reçois le très controversé M. Z. », on a envie de rétorquer: « Mais controversé auprès de qui? »
Ces étiquettes ne font même plus semblant d’être en rapport avec le réel, comme lorsqu’une ministre a dit de François-Xavier Bellamy qu’il n’était pas républicain …
Le politiquement correct peut devenir ubuesque. Il bascule dans un rituel d’excommunication politico-médiatique qui fonctionne selon sa propre logique, sans que le réel s’en mêle. Mais allons plus loin. On connaît la position de Bellamy sur l’IVG, mais il prend la peine de préciser que c’est une conviction personnelle qu’il ne traduira pas politiquement. Ensuite, alors qu’il espère pouvoir parler de son programme, le système médiatique ne lui oppose plus que cela, pour finalement l’accuser d’être obsédé par la question. On est là devant une sorte de déploiement orwellien du système médiatique, qui construit le personnage dont il a besoin pour mettre en scène une séance d’ostracisme et rappeler le prix à payer si on exprime des idées jugées transgressives.
Le paradoxe, c’est que pour exclure il faut être en position dominante: or le politiquement correct est une idéologie au service de minorités …
Le politiquement correct est moins au service des minorités qu’au service des idéologues qui prétendent les représenter sans jamais leur en demander la permission et qui veulent s’appuyer sur elles pour déconstruire toute forme de norme commune inscrite dans la continuité occidentale. C’est ainsi qu’on s’inscrit dans la vie démocratique aujourd’hui: il s’agit de se présenter comme une victime systémique de la civilisation occidentale pour gagner une position de surplomb dans l’espace public.
Inversement, sur le plan symbolique, la majorité est aujourd’hui délégitimée: le procès de la nation, de la transmission culturelle, de la civilisation occidentale est mené depuis plus de cinquante ans. La dénonciation rituelle du mâle blanc de plus de 50 ans semble aller de soi depuis quelques années, sans qu’on l’assimile jamais au racisme ou au sexisme. Lui, on peu le vomir. Cela dit, le commun des mortels s’enthousiasme peu à l’idée de se faire déconstruire. Voila pourquoi le système médiatique se donne une mission pédagogique vis-à-vis de la population pour la rééduquer, faire évoluer les mentalités et faire en sorte que le peuple ne se pense plus tel qu’il se pense et ne pense plus comme il pense. Le rêve de nos progressistes, c’est de fabriquer un nouveau peuple qui serait étranger à l’identité historique de la nation, dans laquelle il ne verrait plus qu’un stock de préjugés irrationnels dont il se serait heureusement délivré.
L’antiracisme et le décolonialisme paraissent emblématiques de cette prise de pouvoir du débat public par l’intimidation d’une minorité agissante …
Absolument. Les association qui portent ces idéologies ne représentent pas grand monde, mais leur idéologie domine l’université. Les sciences sociales sont devenues militantes et plus elles sont militantes plus elles se prétendent scientifiques ! Nous sommes passés du marxisme scientifique des années 1960-1970 à la science diversitaire. Et dans le système médiatique, on sélectionne alors souvent tel ou tel intellectuel en fonction de sa capacité à présenter comme scientifique l’idéologie du jour, même la plus farfelue. Par exemple, que l’homme et la femme n’existent pas et qu’il y a cinquante nuances de genres serait une évidence née d’études scientifiques.
Il en est de même quand on cherche à faire de la fluidité identitaire une nouvelle norme de définition de l’identité sexuelle, en transformant en un improbable cisgenre l’homme qui se sait homme et la femme qui se sait femme. Si vous croyez le contraire, c’est-à-dire si vous vous fiez à l’expérience plurimillénaire de l’humanité, vous ne faites que relayer les préjugés d’une société patriarcale.
Cette logique veut concasser toute forme de système normatif et de continuité civilisationnelle: c’est un travail qui est infini. À partir du moment où, au nom de la diversité, chaque nouvelle préférence se voit transformée en catégorie identitaire qui doit être reconnue comme telle sans quoi on va créer une nouvelle phobie pour dénoncer le fait qu’on ne la reconnaisse pas, on met en marche un processus qui n’a pas de fin. On pousse toujours plus loin l’accusation de racisme, de sexisme et d’homophobie, comme si ces termes en venaient à définir tout l’héritage de notre civilisation. L’homme ordinaire paraphrasera Obélix: « Ils sont fous ces progressistes. » Mais les fanatiques qui portent cela ne sont pas enclins à la rigolade. Les intellectuels conservateurs doivent donc prendre au sérieux les théories radicales les plus loufoques, car elles auront le culot de se présenter demain comme des avancées scientifiques. C’est la nouvelle ruse du progressisme que de se nier comme idéologie pour se présenter comme un savoir indispensable.
Le cas Zemmour pose une question: comment le politiquement correct organise-t-il une apparence de pluralisme?
Éric Zemmour a su incarner au coeur du système médiatique la fonction tribunitienne, une parole qui n’existait jusque-là que dans les marges, même si elle était très présente dans la population. Il a su incarner au coeur même du système médiatique la révolte contre ce dernier, en dévoilant sa dynamique idéologique. Le système médiatique a tout fait pour le transformer en monstre et provoquer sa mort sociale: avec son talent, ses convictions, son courage, il a su ébranler une caste habituée à l’entre-soi et aux conservateurs tièdes vaincus d’avance.
Mais il suffit qu’un intellectuel conservateur surgisse dans les médias pour que les progressistes se sentent soudainement submergés. La gauche a été si longtemps dominante qu’il lui suffit aujourd’hui d’être critiquée pour se sentir assiégée, tandis que la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante. C’est un double quiproquo: la gauche est contestée, elle se croit à la veille de l’effondrement; la droite a quelques représentants dans un milieu qui lui demeure très largement hostile, elle se croit à l’aube de la victoire!
Certes, il y a quelques conservateurs dans l’espace public, mais ils sont obligés de se justifier d’être là. Le système médiatique a élu quelques figures qui jouent le rôle du méchant de service et régulièrement on se demande si on leur donne trop la parole. Imagine-t-on la question inverse ? Les progressistes n’ont-ils pas trop la parole dans l’espace public ? Faut-il donner la parole aux féministes ? Il ne viendrait à personne l’idée de poser de telles questions.
Quel est le rôle du langage dans le politiquement correct ?
Il est fondamental. Certains mots inattendus se glissent dans le vocabulaire, d’abord avec des guillemets, puis les perdent rapidement parce qu’ils se sont normalisés: « cisgenre », « racisé », « afrodescendant ». Lorsque ces mots-là s’imposent, on est obligé de les utiliser sans quoi on se révèle, devant la police diversitaire, comme un dissident potentiel. Ces mots ont un effet ravageur dans la mesure où ils ont moins vocation à traduire le monde dans le langage qu’à faire éclater nos représentations pour que nous ne puissions plus évoquer certaines réalités. Le propre de la novlangue est d’imposer des mots qu’il convient d’adopter très rapidement pour envoyer un signe ostentatoire d’adhésion au régime. Si vous persistez à employer « sexe » au lieu de « genre », à parler d’immigration sans ajouter tout de suite qu’il s’agit d’une richesse, cela suffit à vous rendre suspect.
Il y a un prix à payer pour braver le politiquement correct. Il faut du courage et accepter de traverser une pluie de crachats pour défendre ce que l’on croit juste et vrai, et accepter qu’elle dure longtemps. Ce prix à payer pour marquer un désaccord avec le régime autorise, je crois, à utiliser la catégorie de «dissidents» pour parler de ceux qui luttent contre lui.
Le politiquement correct serait donc un totalitarisme à visage humain ?
Nous sommes dans une démocratie libérale, mais une démocratie libérale qui est en train de perdre le sens de la démocratie et du libéralisme, ce qui est un peu embêtant. C’est-à-dire dans un régime où la liberté de s’exprimer demeure formellement, mais où l’obligation de dire ou de faire devient de plus en plus forte. Cela dit, si nous ne sommes pas en URSS, le climat idéologique qui s’impose de plus en plus dans la vie publique et l’université, les procès politiques et médiatiques contre ceux qui s’opposent aux évolutions du régime ou le mauvais sort réservé à ceux qui nomment certaines réalités qui leur semblent désagréables laissent craindre que le régime diversitaire ne soit pas étranger à une forme de tentation totalitaire.
Quand des Blancs jouent de la musique noire, on crie au néocolonialisme, mais il est normal que des Noirs jouent des personnages de la cour de Marie Stuart. Y a-t-il une bonne et une mauvaise appropriation culturelle?
Mais bien sûr! L’appropriation culturelle telle que pensée par nos progressistes, c’est une forme de pillage symbolique des cultures dominées par l’Occident qui va, par exemple, s’approprier tel vêtement ou telle chanson. Par contre, l’appropriation inversée relève dans leur esprit de la transgression progressiste: on va brouiller les codes culturels occidentaux, ce qu’ils appellent « déblanchir la société ». Si la question raciale resurgit dans nos sociétés, ce n’est pas le fait de la droite, mais parce qu’un certain progressisme la réhabilite, croyant par-là dévoiler des oppressions invisibles.
On l’a vu à Montréal avec le cas de Robert Lepage, ce dramaturge québécois qui a monté une pièce de théâtre consacrée à la question de l’esclavage. Ce spectacle a suscité une mobilisation à Montréal de militants racialistes noirs qui l’ont accusé d’appropriation culturelle parce que des Blancs chantaient des chants d’esclaves noirs, en disant: «Vous vous rachetez une bonne conscience blanche en faisant semblant d’embrasser la cause antiraciste, alors que vous bénéficiez vous-mêmes d’un système raciste et exploiteur».

Eddie George interpreta Júlio César no Festival Shakespeare de Nashville, em 2012. Uma iniciativa de «desbranquisação» da sociedade.
On est de ce point de vue dans une sociologie racialiste qui vient abolir les codes élémentaires de l’humanisme. La discrimination raciale, fondamentalement la plus illégitime qui soit, est réhabilitée. Et le paradoxe est que ce racisme anti-Blancs décomplexé n’est jamais décrit comme tel parce qu’il est assimilé à une impossibilité théorique: le racisme serait exclusivement un système d’exploitation mis en place par les Blancs, pour dominer les catégories minoritaires. On est donc dans cette espèce de paradoxe où un Blanc, universaliste, humaniste, mais qui ne croit pas à la théorie du racisme systémique, est néanmoins raciste parce qu’il endosse la logique du racisme systémique en ne la condamnant pas et qu’un chanteur noir comme Nick Conrad, qui hait les Blancs et veut « tue[r] des bébés blancs », n’est pas, lui, raciste, parce qu’il ne fait qu’exprimer une forme de système de défense contre le racisme qu’il a lui-même subi.
Le progressisme ne se tire-t-il pas une balle dans le pied en réintroduisant cette notion foncièrement antiprogressiste qu’est le racisme?
La logique racialiste, en plus d’être moralement régressive, est sociologiquement stupide. Elle vient abolir les peuples, les nations, les cultures, les religions et les civilisations pour catégoriser les hommes seulement par la couleur de leur peau. Mais un Français n’est pas un Allemand, un Russe n’est pas un Ukrainien, de même qu’un Haïtien n’est pas un Afro-Américain.
Il faut ajouter que cette sociologie ne parvient tout simplement pas à rendre compte des phénomènes sociaux qu’elle prétend éclairer. C’était le cas place de la République, il y a quelques semaines. Quand on a vu des jeunes qui portaient le drapeau algérien – personne n’avait le droit de le mentionner, sinon pour spécifier que ça n’avait aucune signification – s’en prendre à une jeune trans, nos progressistes étaient bien mal en point, parce qu’ils auraient souhaité que les agresseurs aient le profil sociologique des militants de La Manif pour tous. Puisque les agresseurs n’avaient pas l’identité souhaitée, on a décidé de la taire. Mais soyons assurés que si ça avait été une collection de jeunes garçons de Versailles avec des noms à particule, on aurait pris la peine de dénoncer l’homophobie historique de la France qui vire à la transphobie.
Peut-on dire que le déni du réel est consubstantiel au politiquement correct?
C’est même sa nature! Ses mécanismes s’activent dès lors que le réel entre en contradiction avec le régime diversitaire. On le voit sur la question du « vivre-ensemble ». Plus les sociétés se décomposent, plus nous chantons avec une espèce de joie artificielle le monde hybride, métissé, recomposé, divers et pluriel. C’est de ce point de vue qu’on peut croire que le politiquement correct va un jour tomber, parce qu’il y a des limites au déni du réel. La question est de savoir dans quel état le politiquement correct va laisser nos sociétés. Irving Kristolle disait justement: le progressisme ne peut pas gagner, mais il peut tous nous faire perdre.
Emmanuel Macron, avec son rapport très « directif » à la liberté de l’information, est-il l’incarnation par excellence du politiquement correct?
De deux manières. Premièrement, dans sa façon de représenter le combat politique pour les européennes: d’un côté l’empire du Bien, lumineux, qui porte la promesse d’un monde enfin ouvert, et de l’autre côté les forces de la régression, qui nous rappelleraient les-heures-les-plus-sombres-de-notre-temps. En fascisant son adversaire, en passant de la peste brune à la lèpre populiste, une façon comme une autre de représenter la diffusion du discours de l’adversaire sous le signe de la contamination, Macron disqualifie à l’avance la possibilité d’un désaccord.
Deuxièmement, par la notion de fake news, qui est en train de prendre une signification qui est tout autre que celle du bobard classique, pour devenir de plus en plus une manière de disqualifier des interprétations du réel qui sont en contradiction avec l’idéologie diversitaire. Ainsi, relevait de la fake news le fait de mentionner que le pacte de Marrakech posait les bases d’un droit international à la migration. Mais quelle fake news? Ça n’a pas pris trois mois pour que le pape François s’en inspire pour demander de reconnaître le droit à la migration tel que pensé dans le cadre du pacte de Marrakech!
Il y a désormais un réel officiellement certifié. Il y a la version autorisée du réel et ce qui s’en éloigne sera désormais classé sous le signe de la fake news. Permettons-nous néanmoins de voir comment le système médiatique engendre souvent un autre genre de fausses nouvelles. Un exemple tout récent venu de Montréal: dans le cadre du débat sur la laïcité, une manifestation antiraciste rassemble des gens qui crient «Allahu akbar». Et on nous dit dans certains journaux: «Cette manifestation s’est tenue sous le signe d’un militantisme joyeux et féministe.» On peut dire «Allahu akbar» tant qu’on veut, mais je n’avais pas l’impression que c’était un cri de ralliement féministe …
Lorsque, par exemple, dans le quartier de la Chapelle-Pajol à Paris, des femmes ne peuvent plus se promener, le discours médiatique, c’est de signaler la «présence massive d’hommes». Mais quels hommes exactement? «Des hommes.» Le fait de nier qu’on était dans un choc de cultures, le fait d’occulter le sens de ce qui entre en contradiction avec l’idée comme quoi la diversité est une richesse, est-ce que ça n’est pas une forme originale de fake news ?
Le politiquement correct ne répugne pas non plus aux amalgames, comme Marlène Schiappa, dans Valeurs actuelles, comparant La Manif pour tous et les terroristes islamistes.
C’était une assimilation odieuse. Le récit progressiste ordonne « pas d’amalgame », mais, au même moment, opère l’amalgame le plus effrayant pour disqualifier toute forme de conservatisme. Mais plus encore qu’avec Marlène Schiappa, cela s’est révélé après l’attentat abject d’Orlando, commis, en juin 2016, dans une boîte de nuit gay. Certains espéraient que l’assassin soit d’extrême droite, mais il avait prêté allégeance à Dae’ch. Immédiatement, le dispositif médiatique s’est mis en place pour dire « pas d’amalgame, il n’y a aucun lien entre islam et islamisme », mais a pris la peine d’ajouter que cet attentat serait révélateur de l’homophobie présente tant dans le christianisme et le judaïsme que dans l’islam. Donc, pour ne pas faire d’amalgame entre islam et islamisme, on fait l’amalgame entre islam, christianisme et judaïsme …
Je n’utiliserais pa le terme fake news, mais c’est très certainement la manipulation du sens d’un événement par une machine de propagande pour le traduire dans son propre système idéologique.
La déclaration de Marlène Schiappa ne révèle-t-elle pas la tentation de criminaliser l’opinion dissidente?
Sans le moindre doute. Certains progressistes voudraient bien expulser juridiquement leurs adversaires de la vie publique. ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où, pendant des années, ils ont réduit leur pensée à une série de phobies, qu’il fallait combattre comme tout autant de manifestations d’une forme d’intolérance congénitale. Je pense que la prochaine étape suscitée par cette peur du régime diversitaire devant la montée du conservatisme ou du populisme sera d’étendre le domaine de la criminalisation de la pensée, de renoncer à convaincre et de préférer contraindre.
Dans le pacte de Marrakech, il était écrit noir sur blanc qu’il fallait cesser le financement public des organes de presse qui défendent le racisme et la discrimination: sachant l définition que le politiquement correct donne du racisme ou de la discrimination, c’est un appel explicite à faire taire tous ceux qui critiquent le multiculturalisme ou l’immigration massive.
Cette idée de limiter la liberté de la presse au nom de la défense du progressisme n’est-elle pas en train d’accoucher d’autres démocraties illibérales, paradoxalement au nom de la défense des valeurs libérales?
Nous sommes devant une trahison de la démocratie libérale effectuée paradoxalement au nom de son parachèvement. Voilà pourquoi, dans mon livre précédent, je disais de notre époque qu’elle accouchait d’un nouveau régime, masqué par l’apparente continuité institutionnelle de nos sociétés. Ce nouveau régime a remplacé le libéralisme par le progressisme: le premier accepte la pluralité des points de vue sur la cité, alors que le second prétend monopoliser le sens de l’histoire et nous y entraîner qu’on le veuille ou non, en assimilant ceux qui lui résistent à autant d’obstacles sur le chemin de l’émancipation de l’humanité.
Quand on est devant des gens qui veulent restreindre les libertés publiques et étendre sans cesse le domaine de la criminalisation de la parole publique, qui considèrent que le gouvernement des juges doit se substituer à la souveraineté parlementaire, qui estiment qu’il faut rééduquer la population pour l’amener à se convertir à la diversité, je ne vois rien de libéral là-dedans. Si la démocratie libérale abolit la diversité politique et intellectuelle et la possibilité d’un débat véritable entre plusieurs options pour nous convertir de force, au nom du sens de l’histoire, à l’utopie diversitaire, vous me permettrez de la trouver difficilement reconnaissable.
Pourquoi la droite a-t-elle à ce point intériorisé le politiquement correct?
Une bonne partie de la droite rêve de se faire reconnaître comme respectable par la gauche. Inconsciemment, elle vit dans le désir de se faire dire par la gauche: «Vous savez, mon cher ami, vous n’êtes pas si à droite que ça.» Ce qui suppose de se distancier régulièrement de son propre camp pour montrer qu’on ne lui ressemble pas. De même, la droite est hantée par la peur de se faire extrême-droitiser. Alors sa position politique ne peut être que décevante: elle accepte le sens de l’histoire que fixe la gauche, pour ensuite simplement demander qu’on ralentisse le rythme; cette droite, qui est souvent une forme de gauche pâle, ou de gauche au ralenti, demande d’aller dans la même direction que la gauche, mais en boitant un peu. Elle peine à assumer son propre rapport au monde: le rapport de la permanence, de l’enracinement, de la verticalité, de la transmission, pour réussir à penser un progrès qui respecte les aspirations éternelles du coeur humain.
Il y a eu de bonnes nouvelles récemment, parmi lesquelles la désignation de François-Xavier Bellamy. S’il peut devenir, au terme de cette campagne, une figure politique nationale, ce sera une bonne chose, et pour la droite, et pour la France. De même, j’ai grande estime pour le travail intellectuel d’un Bruno Retailleau. Bellamy comme Retailleau prennent au sérieux la question civilisationnelle. C’est essentiel. Et au-delà de la seule droite, il vaut la peine de noter la véritable ébullition intellectuelle de ce qu’on appellera au sens large la pensée conservatrice.
Ce qui manque au renouveau conservateur en France pour l’instant, n’est-ce pas celui ou celle qui sera capable de l’incarner?
Toute idée politique a besoin d’une incarnation. C’est dans la mesure où quelqu’un arrive à faire la synthèse entre un tempérament, un caractère et une doctrine qu’une idée peut véritablement progresser dans l’espace public. Plus encore en France où la quête de l’homme providentiel est dans l’ADN national. Cette capacité d’incarnation viendra avec la capacité à rompre avec le politiquement correct, à ne pas céder après la campagne de démolition qu’il ne manquera pas de lancer. Un homme confirme sa valeur politique, aujourd’hui, en montrant qu’il sait ne pas céder devant la charge du parti médiatique et en montrant aussi qu’il sait transgresser intelligemment les grands interdits idéologiques. Devant le politiquement correct, le courage intellectuel, le courage politique, le courage médiatique restent les meilleures armes possible.
La multiplication d’intellectuels courageux dégage un espace du pensable, pour une parole affranchie, désinhibée. Mais il faut accepter que la politique est conflictuelle, que si nous espérons le respect, l’admiration, la tendresse de nos adversaires, nous nous mettons sous leur joug. Il faut accepter l’idée que ceux que nous combattons ne nous aiment pas, qu’ils cherchent à en finir politiquement avec nous et nous entêter malgré tout à mesure que nous sommes convaincus au fond de nous-mêmes de servir une juste cause, celle de la renaissance de nos pays respectifs et de notre civilisation.
Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker et Laurent Dandrieu pour Valeurs actuelles.